Vive le CPE

Article écrit suite à un appel à témoins de libération pour cet article

Il y a dix ans, je me suis engagé contre le CPE. J’y ai mis tout mon cœur et toute mon âme. Pas forcément parce que j’étais contre ce contrat, même si je trouvais ça particulièrement nul, mais surtout parce que c’était une expérience de vie incroyable.

A l’époque, j’étais étudiant à Lyon 2, en première année de master d’Histoire. Bon, en vrai je savais déjà que ça ne mènerait à rien et que mon mémoire resterait au stade de l’ébauche. Mais depuis le début de l’année universitaire, j’avais autre chose qui me rattachait à la fac. Avec quelques copains, on avait créé un journal politique, culturel et satirique. On rêvait d’être le nouveau Charlie Hebdo et de remplacer le Monde Diplo, on espérait être embauché à Libé, mais en attendant, on préférait écrire des conneries et faire rire et débattre les quelques centaines de personnes qui achetaient notre journal à prix libre.

Alors, forcément, quand le mouvement à commencer, notre feuille de chou a été en première ligne. On était ceux du « Cri du Fennec » (ah oui, c’était ça le nom débile du journal qu’on avait créé, hommage au Cri du Peuple et au n’importe quoi), ceux qui dénonçaient les pratiques débiles des organisations politiques de la fac. On allait en AG pour bordéliser et empêcher les trotskystes de sortir leur litanie révolutionnaire. On riait des alliances de circonstances, de ceux qui se donnaient de l’importance et de ceux qui voulaient faire la révolution prolétarienne et aller tracter à RVI à côté de la fac pour mettre en place la convergence des luttes.

J’étais fasciné par l’incroyable moment de partage que représentait cette fac occupée : tous les débats, tous les échanges, les expériences artistiques et les moments de vie. Pour la première fois, l’université Lyon 2 était belle, avec ses barricades de chaises et ses affiches qui débordaient de partout. On discutait de l’avenir du monde et de nos engagements, tout en ayant conscience que cette expérience ne se reproduirait sûrement jamais dans nos vies.



Vous nous demandez ce qu’il reste de tout ça dix ans après. Pour moi, ça prend la forme d’une petite fille qui fêtera ses 2 ans en avril. Car au milieu de tous ces échanges, c’est mes plus belles amitiés qui se sont formées et surtout, aux derniers jours du mouvement, j’ai rencontré celle qui allait partager ma vie.

C’était la fin et on le savait. Dominique De Villepin venait d’annoncer l’abandon du projet et l’AG avait voté la fin de l’occupation (je crois qu’un article du Monde avait cité mon discours ce jour-là). Quelques-uns voulaient continuer le mouvement et on les trouvait drôles. Alors on allait aux AG, surtout pour se marrer. Il y allait avoir une coordination nationale, à Nancy, pour décider de la suite du mouvement et il fallait élire des représentants. Sauf qu’on était loin des AG à 2000 personnes dans le gymnase. Nous étions à peine une centaine dans un petit amphi. Les seuls candidats étaient les trotskystes et ça m’a fait marrer de me présenter contre eux. Ça a fait marrer un pote de demander à ceux de l’UNEF de voter pour moi. Alors, j’ai été élu. J’ai assisté à cette coordination surréaliste où on bouffait vegan et où il était interdit de dire du mal de Staline, pardon, du « camarade Joseph ». Mais avant de partir, j’ai bu un café avec ceux qui m’avaient élu. Parmi ceux-là, il y avait une jeune fille avec laquelle je n’avais jamais échangé jusqu’ici.


A mon retour à la fac, elle m’a apostrophé pour me demander de lui raconter ce weekend nancéien. Elle était belle, avec un regard magnifique. Alors, j’ai fait mon plus beau numéro de charme. Surtout, petit à petit, je me suis rendu compte que sans la connaître, j’avais déjà beaucoup entendu parler d’elle. Elle avait déjà séduit l’ensemble de la rédaction de notre journal, mais personne n’avait vraiment osé lui parlé, à part un ami qui lui avait donné son Charlie des caricatures qu’elle ne parvenait pas à trouver en kiosque, en oubliant de lui demander son prénom en échange. Notre début d’histoire fut compliqué et n’a pas lieu d’être raconté ici, mais on se prépare tout de même à fêter nos dix ans de relation, en même temps que les médias célèbreront les dix ans du mouvement contre le CPE.

Dix ans après, je ne suis pas devenu politique, mais parce que ce mouvement n’a fait que me confirmer le mal que je pensais des organisations politiques et syndicales et la conviction profonde le combat se joue dans l’éducation et le quotidien. Je suis devenu formateur en insertion et j’ai un peu le sentiment que c’est le résultat de ce combat et cette conviction. Avec mes amis du Cri du Fennec, on continue d’essayer d’écrire nos idées et nos conneries, dans un petit site web qui doit avoir 200 lecteurs. Ma conjointe avait évidemment rejoint notre équipe et a écrit quelques-uns des plus beaux textes de ce site.


Notre fille s’appelle Louise, comme Louise Labé et Louise Michel. Sa première manif aura été celle du 11 janvier 2015 car sans Charlie Hebdo et sans le CPE, ses parents ne se seraient jamais rencontrés. Alors des fois, on dit merci à Dominique de Villepin.

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