Zadig, Voltaire et Frédéric Lefebvre

Ce matin, j’ai eu le plaisir de me réveiller en entendant les noms de Gambetta, Clémenceau ou de Grévy… Il faut bien le reconnaître, ça change de Claude Guéant et de Nadine Morano. La raison du retour sur le devant de la scène de ces quelques patronymes, la publication des comités secrets tenus en 1870 et 1871, alors que l’armée de Napoléon III se prend une dérouillée à l’est et que Paris commence à s’agiter sérieusement.

Repris par une légère fièvre historique, je me suis joyeusement repenché sur la IIIème république, de sa naissance dans le sang des communards à son suicide pétainiste. Un certain nombre de grands noms ressortent de ce passage hors normes de notre Histoire politique. Léon Gambetta, Georges Clémenceau, Aristide Briand, Jean Jaurès et Léon Blum en tête. D’autres noms dont certaines prises de position, notamment sur la colonisation, ont ternis l’image grâce aux moralistes à rebours, Jules Ferry, Paul Bert, Pierre Waldeck-Rousseau… Il en reste encore quelques-uns, plus oubliés malgré leur importance, Jules Grévy, Emile Combes, Henri Brisson… Ces inventeurs de la République, de la séparation des Eglises et de l’Etat, des lois sociales (Elle parait loin la loi Waldeck-Rousseau sur les 60h de travail hebdomadaire), de l’instruction publique, ont tous un point commun. Ils ont siégé à la gauche du président de l’Assemblée Nationale.
C’est en effet amusant de noter qu’à l’exception des tristement célèbres Adolphe Thiers, Patrice de Mac-Mahon et Pierre Laval les rares hommes politiques de droite qui ont marqué l’histoire viennent du centre-droit, voire sont d’anciens hommes de gauche comme Alexandre Millerand ou Raymond Poincaré.

Car, au-delà de la provocation, il est un phénomène intéressant dans le clivage gauche-droite. Albert Thibaudet le définit dès 1932 dans son ouvrage Les idées politiques de la France, en le nommant sinistrisme (de l’italien sinistra : gauche). Il existe un glissement progressif des différents mouvements de la gauche vers la droite. A chaque apparition d’un nouveau mouvement de gauche, les organisations préexistantes opèrent une translation vers la droite. Les républicains se font repousser à droite par les Radicaux, eux-mêmes remplacés par la SFIO, à son tour remplacée par le Parti Communiste…

René Rémond dans ses analyses sur la droite[1] précise ce phénomène. En effet, au tournant de la Troisième République, la droite s’assume royaliste. Cependant, au fur et à mesure que la République s’installe, la droite va chercher à masquer cette origine de plus en plus gênante. Si en 1893, elle se nomme Droite Républicaine, elle change ce nom à la législature suivante en Action Libérale. Avant la guerre de 1914, seul un résidu de royalistes s’assume ouvertement de droite à l’assemblée. Par la suite, l’Alliance Républicaine Démocratique, ancien mouvement de gauche, devient le principal représentant du centre droit à l’assemblée. La Seconde Guerre Mondiale vient renforcer ce phénomène, la cicatrice collaboratrice remplaçant celle du royalisme. Le Rassemblement des Gauches Indépendantes, comme son nom ne l’indique pas, représente la principale tendance de la droite conservatrice, largement subventionnée par le patronat. Le Gaullisme se revendiqua toujours au-dessus du clivage gauche-droite. En 1974, le seul candidat à se déclarer ouvertement de droite fut Jean-Marie Le Pen. En 1981, plus aucun candidat n’assumait ce statut (le Front National n’avait pas réussi à obtenir les 500 signatures).

On pourrait bien entendu prolonger l’analyse de René Rémond sur les années 80 et 90. Aucun parti politique, plus même le Front National, n’acceptant l’étiquette de droite. Au contraire, les clins d’œil aux valeurs de gauche se retrouvent jusque dans les noms des partis de ces époques (Rassemblement Pour la République, Union pour la Démocratie Française, Démocratie Libérale, même le Front National fait référence à un mouvement de résistance d’inspiration communiste). Charles Millon, après sa déchéance politique suite à son alliance avec l’extrême-droite en Rhône-Alpes, osa appeler son mouvement La Droite, mais rencontra un échec cinglant.

L’UMP, au départ, ne déroge pas à la règle. L’utilisation du terme populaire, clairement marqué historiquement à gauche, indique une volonté de perdurer dans ce mélange des valeurs. Rien d’étonnant de la part de Jacques Chirac, élu en 1995 sur un discours très ancré socialement (la fameuse fracture sociale). Cependant, quand Nicolas Sarkozy va transformer ce parti en machine au service de son élection, il va réaliser un réel bouleversement. Revendiquant Jaurès ou Blum dans certains discours, il n’hésite pourtant pas à revendiquer fièrement être de droite. Une droite forcément modernisée, on imagine mal les royalistes du XIXème s’unir derrière un président deux fois divorcé.

Nicolas Sarkozy a décomplexé la droite, autour de nouvelles valeurs, celles des nouveaux riches, des parvenus, de l’argent facile et de l’arrogance de la réussite. Un amalgame étrange entre valeurs réactionnaires sur les sujets symboliques ou moraux comme la laïcité, l’immigration, l’éducation, le travail et profondément modernes, notamment sur des thèmes comme la famille, le rapport à l’argent ou à l’ascension sociale. Pratiquant l’art de la rhétorique jusqu’à l’excès, cette droite a réussi à retourner jusqu’aux concepts fondamentaux de la gauche. Se revendiquant réformiste, libérale et progressiste, fustigeant la gauche comme passéiste, moraliste et conservatrice.


C’est cette droite hybride que sont en train d’inventer Nicolas Sarkozy, Frédéric Lefebvre et Jean-François Copé et qu’il va nous falloir combattre en 2012. Une droite à qui il va falloir reprendre jusqu’à nos mots, nos idées. Une droite qui assume son vide culturel et intellectuel. Une droite qui peut citer dans la même semaine Maurras et Jaurès puisqu’elle revendique ne pas les avoir lu et ne cache plus qu’elle n’écrit pas ses discours. Une droite qui peut publier un livre fait de copier/coller de Wikipédia. Une droite qui confond philosophie et prêt-à-porter.


[1] René Rémond, Les droites en France, Aubier, 1982 (Edition corrigée)

Commentaires

  1. Restons vigilants, ne soyons point candides. J'entends Gavroche et son refrain splendide :

    Je ne suis pas notaire,
    C'est la faute à Voltaire,
    Je suis petit oiseau,
    C'est la faute à Rousseau.

    Je suis tombé par terre,
    C'est la faute à Voltaire,
    Le nez dans le ruisseau,
    C'est la faute à ...

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